Schwob bibliophile
par Nicolas Malais

Nicolas Malais, Bibliophilie & création littéraire (1830-1920), Paris, Cabinet Chaptal éditeur, 2016, 452 p., 120 illustrations en couleurs.

Issu d’une thèse dirigée par Claude Leroy, l’ouvrage de Nicolas Malais, libraire d’ancien et éditeur (Cabinet Chaptal), entend montrer que la bibliophilie est devenue au XIXe siècle une véritable pratique littéraire. Autrement dit, l’écrivain bibliophile, non content de collectionner les livres anciens, de s’en inspirer et de les introduire, avec leur maniaque de propriétaire, comme figures de ses récits, va élaborer une poétique fondée sur le livre. La fréquentation physique des ouvrages, le voyage imaginaire dans le temps, s’expérimentent sur le mode d’un enchantement qui se répercute dans l’écriture, voire dans la fabrication des nouveaux livres.

L’étude est centrée sur la fin-de-siècle, car le Symbolisme, à partir de Mallarmé, concrétise la mystique du livre en passant du livre-source (et ses multiples modalités de réécriture) au livre-objet comme forme totale et unique de l’Idée. Le panorama englobe cependant en amont le Romantisme, autour de Nodier et du Bibliophile Jacob, avec leurs bibliothèques électives, pour s’étendre jusqu’aux avant-gardes pré-surréalistes (Apollinaire et Cendrars). Le cœur du livre explore la démarche des quatre écrivains bibliophiles adeptes de « la Machine à exploiter le temps » : Marcel Schwob, Pierre Louÿs, Remy de Gourmont et Alfred Jarry.

Vingt-cinq pages sont consacrées au cas de Marcel Schwob. L’étude du catalogue de sa bibliothèque, véritable miroir de son œuvre par les choix personnels qu’elle représente et les pratiques poétiques qu’elle inspire (éclairées par les mimésis de Ricœur), situe l’écrivain dans la lignée de Nodier ‒ que poursuivra ensuite Apollinaire. Les livres anciens de cette bibliothèque sont « la rampe de l’imagination » dont sortiront notamment Vies imaginaires et La Croisade des enfants. Le mythe du livre court dans les textes (« Lilith » et le maroquin, le motif du parchemin magique) avant de se faire objet par le format (Le Livre de Monelle) et surtout, avec Mimes, par la conception du livre autographique proche de l’incunable, représentant emblématique de ce que Nicolas Malais appelle le « livre d’écrivain ».

Un des intérêts présentés par l’ouvrage est l’originalité de son corpus, composé de catalogues de bibliothèques privées et d’exemplaires rares, souvent absents des bibliothèques institutionnelles. Nombre de ceux-ci sont reproduits au format vignettes parsemant agréablement le texte. [A. L.]