Jean Lorrain, Lettres à Marcel Schwob
par Éric Walbecq (2006)

Jean Lorrain, Lettres à Marcel Schwob et autres textes, édition établie et annotée par Éric Walbecq, Tusson (Charente), Du Lérot, 2006, 112 p.

Ouvrage tiré à 250 exemplaires, chacun comportant la reproduction d’une affichette publicitaire pour L’Écho de Paris.

Après trois volumes de Correspondance de Jean Lorrain (avec Edmond de Goncourt, avec Huysmans et avec Colette), Éric Walbecq poursuit son entreprise en publiant les lettres de l’écrivain à Marcel Schwob, achetées par la Bibliothèque municipale de Nantes lors de la vente publique de la collection de Pierre Champion en décembre 1998. On ne peut que se réjouir de cette édition qui témoigne du regain d’intérêt actuel pour Marcel Schwob. Parfait conteur, ce dernier préférait les plaisirs de la lecture à ceux de la correspondance, d’où une moisson assez pauvre de ses propres missives. Sur la trentaine de lettres et billets présentés, trois seulement sont de Schwob contre vingt-huit de Lorrain, inédits. L’iconographie présente trois portraits de Lorrain, aucun de Schwob. Il faut se contenter d’une gravure de Marguerite Moreno, son épouse, et d’une photographie de Catulle Mendès – cible de la plume acerbe de Lorrain – auprès de qui Schwob dirigea le Supplément littéraire de L’Écho de Paris de mai 1891 à août 1893. Un compte rendu du Roi au masque d’or (« Fleurs de rêve »), trois contes de Lorrain et « Le Sabbat de Mofflaines » de Schwob, dédiés à l’autre, enrichissent cette édition.

Soigneusement annotées, ces lettres couvrent les quatre années où Schwob publie ses chefs-d’œuvre, de 1892 jusqu’au début de l’affaire Dreyfus, qui semble avoir distendu la relation entre les deux écrivains. Mots de condoléances à l’occasion du décès du père de Schwob, puis de Vise, sa maîtresse, remerciements pour dédicace, invitations et propositions de sorties (à Billancourt, aux fêtes foraines des Invalides et de Saint Cloud), ainsi que deux lettres envoyées du Maghreb, constituent la substance de cette correspondance. L’ensemble permet de replacer cette amitié dans le cadre des relations des collaborateurs de L’Écho de Paris, où les deux écrivains donnèrent de nombreux contes. Schwob fut souvent convié par Lorrain à Auteuil, avec Régnier, Barrès, France, mais aussi Mirbeau, Léon Daudet et Henry Bataille. Il présenta Valéry à Lorrain et servit d’intermédiaire entre son ami et Wilde, dont il fut le « pilote » parisien et le « cornac ». Deux articles de Lorrain éclairent sa rencontre avec Wilde et Schwob, à laquelle France et Bauër assistèrent. Schwob était attentif aux écrits de Lorrain, lequel ne cherchait pas seulement à entretenir de bons rapports avec son collègue de L’Écho mais louait sa prose et s’en inspirait parfois. « Je continue de vous voler » lui avoue-t-il. Quelques allusions montrent une vraie connivence entre les deux hommes, amateurs de réalités insolites. Mais le portrait de Schwob qui se dégage de ces lettres révèle davantage les propres obsessions de Lorrain : l’auteur de La Croisade des enfants et de Vies imaginaires ne saurait être réduit à un individu « friand de cauchemars et d’épouvante », aux « instincts malsains et [aux] curiosités coupables ». Cette image déformée de l’écrivain fait songer à ces histoires de la littérature où, souvent associé à Lorrain, Schwob fut réduit à un conteur fantastique, comme dans cette caricature des deux hommes par Ernest La Jeunesse, « Chands d’cauchemars », donnée en annexe du livre.

[Compte rendu publié par Bruno Fabre dans les Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, p. 273-274].

Lorrain