Jules Renard, écrivain de l’intime (2017)
par Stéphane Gougelmann

Stéphane Gougelmann, Jules Renard, écrivain de l’intime, Paris, Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2017, 685 p. 

 

La dialectique de l’intime, notion brillamment exposée en introduction, sert de fil conducteur à l’étude consacrée par Stéphane Gougelmann à l’écrivain Jules Renard : « L’œuvre se nourrit de l’intime qui, lui-même, trouve forme et sens dans la littérature. » L’auteur revisite ainsi, par une exploration minutieuse et sensible des textes, des livres majeurs comme L’Écornifleur et Poil de Carotte, mais aussi les innombrables récits et, dans une moindre mesure – celle que leur accordait Renard – les comédies. Sans oublier la pièce majeure que constitue le Journal, envisagé en regard des œuvres publiées et en tant qu’œuvre intrinsèque, face cachée (mais distincte) d’une même recherche : scruter et (re)créer sa vie.

 

Stéphane Gougelmann entreprend de dégager la singularité d’une voix (d’une voie) inventant une écriture de l’intime, source et perspective d’une œuvre qui se démarque, en cherchant « son originalité chez soi », des entreprises proprement autobiographiques. Il montre comment le réalisme est d’emblée intériorisé : « l’œil clair » sera toujours celui d’un sujet particulier. Il explore ensuite, dans la quête de soi et de son insaisissable vérité, l’imbrication de l’intime à l’autre, du trauma affectif familial à la quête de la bonne relation altruiste, en passant par l’aliénation des compromissions sociales. Il analyse enfin les modalités renardiennes de l’écriture de l’intime. La pratique systématique de l’humour, mise en évidence par Michel Autrand, est abordée ici au service de l’expression de l’intime, comme principe éthique d’un moraliste moderne soucieux de se « régulariser », et comme principe esthétique d’une écriture pudiquement distanciée de soi et du monde par une décantation qui conjure le risque du pathos jusqu’à friser le silence – le style Jules Renard.

 

Cette étude devrait intéresser les schwobiens. En effet, elle propose une analyse finement documentée de la relation entre les deux hommes, montrant comment et pourquoi, dans le contexte de la confrérie des gens de lettres de l’époque, la « passade » de Renard évolue de la proximité d’un compagnonnage amical à la brouille haineuse. En outre, elle fournit de la matière pour une comparaison approfondie des démarches littéraires de ces deux (presque) exacts contemporains : en germant sur les mêmes prémisses (dont le rejet des romans de la mimesis, naturalistes ou psychologiques, en tout cas diserts et totalisants), leurs œuvres (autant que leurs vies) se développeront, de façon originale et discrètement moderne, sur les modes (schématiquement) opposés du vécu intérieur et de l’imaginaire extérieur. (A.L.)