Un article de Schwob sur Luscignole de Catulle Mendès
par Évanghélia Stead (2023)

Catulle Mendès, Œuvres, sous la direction de Jean-Pierre Saïdah, tome VIII, Luscignole, édition d’Évanghélia Stead, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du XIXe siècle », 2023, 193 p.

 

On connaissait peu ce roman poétique de Catulle Mendès, publié le 28 avril 1892, sinon, pour les lecteurs de Schwob, par la chronique que celui-ci lui consacra le 22 mai dans L’Écho de Paris, à la demande de l’auteur pour qui il y travaillait : « Luscignole ». Stimulé par la concurrence d’Anatole France, également sollicité, Schwob rédigea un article de haute tenue littéraire, complexe et savant, mettant en parallèle cette histoire de rossignol avec la Prokné des Oiseaux d’Aristophane.

Évanghélia Stead assure la réédition de Luscignole avec son souci de l’exactitude, l’enrichit de notes éclairantes, en assure la présentation érudite, montrant notamment que ce « roman délicat aux allures de conte de fées » réinterprète en réalité la violence du mythe ovidien de Philomèle, qu’elle connaît bien. Le texte de Mendès est suivi d’annexes dont la plus importante donne à lire quelques recensions de Luscignole dans la presse de l’époque, parmi lesquelles celle d’Anatole France et celle de Marcel Schwob.

 Évanghélia Stead souligne la perspicacité de ce dernier, seul à « percevoir l’intense mélancolie qui fait le fond du récit ». Et en effet, son article, quoique de commande, est une critique empathique jusqu’au pastiche pour ce « roman de l’innocence » (rare chez Mendès), pour cette histoire de petite fille (il a déjà publié lui-même quatre histoires de « petites filles » : « Le Sabot », « Fleur de cinq pierres », « Le Pays bleu » et « Bargette ») où la joliesse se marie avec la cruauté et l’horreur. Schwob put aussi reconnaître, dans la migration du chant du rossignol mourant dans le gosier de la petite Luscignole, celle de la voix de sa « Béatrice » (L’Écho de Paris, 14 septembre 1890) qui, sur le mode de l’épouvante, était passée, à la place de son âme, dans la gorge de son amant. Il résume ainsi l’épisode de Mendès : « Quand le pauvre rossignol mourut, son âme passa dans le sein de la petite, […] et elle eut en elle ses chants. » Plus loin, avant de faire fusionner in fine sa propre narration avec celle de Mendès en citant la dernière phrase du roman, il va jusqu’à y inclure un développement de son invention, variation sur son « Daphnis et Chloé » (L’Écho de Paris, 19 juillet 1891). Ces jeux de miroirs témoignent de la virtuosité créative du jeune journaliste/conteur, de la porosité des frontières entre les genres fictionnel et critique, ainsi que de tout un maillage de sensibilité et de culture qui relie des écrivains de l’époque. [A. L.]