Tous les articles par Bruno Fabre

Un dessin de Jules Pascin « Les Soeurs de Monelle »
en vente publique (29 octobre 2023)

Jules Pascin, « Les Sœurs de Monelle. Souvenir de Marcel Schwob », dessin à l’encre et crayon sur papier, 19,5 x 24 cm. Catalogue Art moderne britannique et du 20e siècle, première partie, Londres, Roseberys, vente publique du 29 novembre 2023, lot n° 74.

 

 

L’artiste Julius Mordecaï Pincas dit Jules Pascin (1885-1930) est né à Vidin, en Bulgarie, et mort à Paris. Peintre, dessinateur et graveur, il est un des artistes juifs de l’École de Paris et du Montparnasse des années 1920. Il y fréquente Francis Carco, Pierre Mac Orlan, André Salmon, Paul Morand, Max Ernst, et d’autres. La plupart de ces créateurs ont connu Marcel Schwob dans leur jeunesse ou lui ont rendu hommage dans leur œuvre. Une vente récente révèle que Jules Pascin a lui aussi été inspiré par la lecture d’un livre de l’écrivain. Un dessin intitulé « Les Sœurs de Monelle. Souvenir de Marcel Schwob » réunit une fillette et sept jeunes femmes dans la même pièce, certaines debout, d’autres assises, l’une d’elles alanguie sur un canapé. Toutes regardent vers le spectateur. L’image évoque à l’évidence une maison close. Sous le crayon de Pascin, les Sœurs de Monelle sont devenues des filles de joie, alors que dans le recueil de Schwob, les seules prostituées sont Monelle, Morgane et les femmes qui accueillent Jeannie. Cette interprétation des « Sœurs de Monelle » peut s’expliquer par l’évocation de leur similitude avec des « prostituées sans intelligence [1] », au début du livre, mais aussi par la proximité de l’artiste avec le monde de la prostitution depuis sa jeunesse. À l’arrière-plan, deux figures seulement esquissées intriguent. Celle qui est alitée est-elle aussi une sœur de Monelle ou l’héroïne elle-même ? [B. F.]

 

[1] Marcel Schwob, Le Livre de Monelle, Œuvres, Phébus, « libretto », 2002, p. 399.

Un portrait de Schwob par Georges Hugo
exposition Gorges Hugo (10 nov. 2023 – 10 mars 2024)

Un portrait de Marcel Schwob par Georges Hugo

 

Exposition « Georges Hugo. L’art d’être petit-fils »

(10 novembre 2023 – 10 mars 2024)

 

Georges Hugo. L’art d’être petit-fils, Maison de Victor Hugo, Paris Musées, 2023, 120 p. Portrait de Marcel Schwob, p. 44.

 

La Maison Victor Hugo, à Paris, consacre une exposition-rétrospective au peintre et dessinateur Georges Hugo (1868-1925), petit-fils du poète. Parmi les œuvres présentées, un portrait de Marcel Schwob au fusain et gouache sur papier (24 x 16 cm) côtoie d’autres dessins de personnalités de l’époque, proches de l’artiste : l’homme politique Édouard Lockroy (second époux de la mère de Georges Hugo), le poète Théodore de Banville, les écrivains Paul Mariéton et Marcel Schwob. Les noms des modèles, graphiés par l’artiste, accompagnent les dessins.

Georges Hugo et Marcel Schwob ont entretenu une relation amicale pendant quelques années. De la même génération, ils se sont probablement rencontrés par l’intermédiaire de Léon Daudet, condisciple de Marcel et ami d’enfance de Georges dont il épouse la sœur en 1891. Les trois jeunes gens se fréquentent régulièrement à Paris. À l’été 1894, Marcel Schwob et Léon Daudet séjournent à Hauteville House, à Guernesey. Après le divorce de Léon Daudet et de Jeanne, Georges Hugo continue à correspondre avec Marcel Schwob. Quelques lettres conservées à la Bibliothèque municipale de Nantes témoignent d’une affection réelle mais qui n’a pas résisté au temps. Leurs retrouvailles fortuites, en 1905, seront sans suite, en raison de la mort de Schwob.

Dans le portrait de Schwob, l’écrivain est croqué sur le vif, avec une longue mèche de cheveux qu’on ne lui connaît guère que dans le dessin d’Ernest La Jeunesse pour « Chands d’cauchemars [1] » (octobre 1895) et sous la plume de Jules Renard : « mon ami Schwob, qui autrefois se rasait la tête jusqu’au sang, a maintenant sur le front un petit saule pleureur, noir, en cheveux plats, qui répond bien à l’état actuel de son âme triste » (Journal, 6 novembre 1894). Cette évocation permet de dater le dessin des années 1894-1895 et non de 1898, comme le suppose le catalogue de l’exposition. Cette année-là, Marcel Schwob a coupé sa mèche et porte moustache et bouc : c’est ainsi que Félix Vallotton a dessiné le « masque » de l’auteur, d’après une photographie [2]. [B. F.]

 

[1] Ernest La Jeunesse, « Chands d’cauchemars », Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires Contemporains, Nouvelle édition accrue d’un Avant-propos et de soixante croquis de l’auteur, Librairie académique Perrin et Cie, 1913 [1re éd. 1896], p. 217-224. Voir Spicilège – Cahiers Marcel Schwob, n° 10, 2017, p. 72-82.

 

[2] Remy de Gourmont, Le IIe Livre des Masques, xxiii portraits dessinés par Félix Vallotton, Paris, Mercure de France, 1898. Le masque de Marcel Schwob figure à la page 150.

 

Schwob cité dans un catalogue d’exposition
de l’artiste Chloé Poizat (2018 / 2023)

Chloé Poizat, Des rameaux frêles et frais comme des doigts de femme, catalogue d’exposition conçu, réalisé et édité par l’artiste, 2018 ; 2e éd. revue, 2023, 66 p.

 

Chloé Poizat est une artiste plasticienne qui vit et travaille en Seine-Saint-Denis. En janvier 2019, elle a conçu une exposition de dessins et installations, sous le titre Des rameaux frêles et frais comme des doigts de femme, présentée à la Galerie 22,48 m2, à Romainville (France). Ce titre poétique est une citation tirée du conte « L’Étoile de bois » (1897) de Marcel Schwob, dont l’artiste se sent proche. Chloé Poizat a créé à cette occasion un catalogue de petit format (10,5 x 14,8 cm), édité à 500 exemplaires. Au cœur de ce livret, quelques pages « documentaires », selon les mots de l’artiste, réunissent une douzaine de citations d’auteurs. Elles font écho à des œuvres plastiques souvent intitulées « Lambeaux » ou « Dans la nuit », dessins oniriques aux formes anthropomorphes ou objets faits de brindilles et de vertèbres d’animaux. Deux phrases tirées de Mimes résonnent comme un autoportrait imaginaire : « Je suis née aux champs souterrains, parmi des plantes dont les couleurs sont inconnues. Je sais toutes les nuances de l’obscurité ; j’ai vu les fleurs lumineuses des ténèbres. » ; « L’ombre lente et fluette me conduisit beaucoup parmi l’herbe noire des enfers, où nos pieds se teignaient aux fleurs du safran. » (Mime xviii et Prologue) Une troisième citation, plus longue, extraite de « L’Étoile de bois » (sur les sortilèges de « l’enceinte de la forêt »), témoigne d’affinités et de connexions entre les dessins fantômes, les forêts rêvées et la « ligne trouble » commune aux œuvres de Chloé Poizat et à la fiction schwobienne. [B. F.]

 

Réédition d’ « instantanées » (Cœur double )
dans une anthologie de nouvelles réalistes (2013)

Nouvelles réalistes et naturalistes, anthologie, édition présentée par Hélène Delalande, Paris, Nathan, « Carrés classiques », 2013, 160 p.

 

Cette anthologie de nouvelles réunit huit textes de la seconde moitié du XIXe siècle. Le choix est original : à côté d’auteurs fréquemment étudiés au lycée, Maupassant (« Miss Harriet », « Rosalie Prudent ») et Zola (« Le Chômage »), cinq écrivains rarement représentés dans l’édition parascolaire trouvent ici leur place : Champfleury, « Les trouvailles de M. Bretoncel » ; Banville, « Les Servantes » ; Mirbeau, « Le Père Nicolas » ; Huysmans, « La Retraite de monsieur Bougran » ; Schwob « Instantanées ». L’ouvrage est assorti d’un riche dossier d’extraits de romans et de textes théoriques divers mais néglige la présentation des auteurs et des nouvelles. « Instantanées » est réédité sans indication sur son sujet (l’exécution publique de l’assassin Michel Eyraud, à laquelle Schwob a assisté) ni sur son contexte de publication (le surlendemain de l’événement, à la une de L’Écho de Paris) ni sur sa place dans le recueil Cœur double, où il s’inscrit dans une série de contes sur la guillotine.

La présence d’« Instantanées » dans cette anthologie est surtout étonnante : ce texte n’appartient guère au genre de la nouvelle et son art de la description allusive se distingue nettement de la clarté des autres récits. Avec son ambiguïté générique, son titre mystérieux, sa tension stylistique entre un excès de précisions et un entre-deux vague, l’anonymat du protagoniste, l’ellipse de la scène capitale et une absence de fin, « Instantanées » offre une narration et un réalisme radicalement différents de celui des autres nouvelles. Schwob est d’ailleurs qualifié d’« inclassable » (p. 11). La réédition de ce texte a cependant le mérite d’interroger la diversité de l’écriture réaliste et la singularité du style de Schwob, et de faire découvrir un auteur qui a renouvelé également le conte évoquant la guillotine. [B. F.]

 

Nouvelles traductions de textes de/sur Schwob
dans La Antorcha Magacín (Chili, 2023)

Nouvelles traductions de textes de et sur Marcel Schwob dans La Antorcha Magacín, revue en ligne publiée au Chili.

 

Marcel Schwob, « Los Señores Burke y Hare. Asesinos », traducción de Jorge Luis Borges, La Antorcha Magacín, n° 13, Valparaíso [Chili], 2 mai 2023.

https://laantorchamagacin.com/2023/05/02/los-senores-burke-y-hare-asesinos/

 

Marguerite Moreno, « Marcel Schwob », traducción de Eduardo    Cobos, La Antorcha Magacín, n° 15, Valparaíso [Chili], 20 août 2023.

https://laantorchamagacin.com/2023/08/20/marcel-schwob-2/

 

Après la traduction de plusieurs textes tirés de Vies imaginaires et leur parution dans des revues chiliennes en ligne, ainsi que dans une plaquette illustrée par des gravures sur bois de Germán Araya [1], l’écrivain et traducteur Eduardo Cobos poursuit son activité éditoriale autour de Marcel Schwob, en proposant dans la revue qu’il dirige, La Antorcha Magacín, de nouvelles traductions. Il s’agit de la première des cinq vies imaginaires publiées dans la Revista multicolor de los sábados (n° 4, Buenos Aires, 2 septembre 1933, p. 1) et de l’article de Marguerite Moreno sur Schwob publié dans La Statue de sel [1928], puis dans Souvenirs de ma vie, Paris, Éditions de Flore, 1948, p. 76-77. [B. F.]

 

[1] Spicilège – Cahiers Marcel Schwob, n° 13, 2020, p. 186 ; n° 14, 2021, p. 197 ; n° 15, 2022, p. 198-199.

Traduction de Spicilège
aux États-Unis (2022)

Marcel Schwob, Spicilege, Translated, with an introduction by Alex Andriesse, Cambridge (Massachussets, USA), Wakefield Press, 2022, 224 p.

En 2022, les éditions Wakefield ont ajouté à leur catalogue un cinquième volume de Marcel Schwob, la traduction en anglais de Spicilège (1896). Cette maison d’édition fondée en 2009 par Marc Lowenthal et Judy Feldmann s’attache à traduire des auteurs et des textes méconnus ou d’avant-garde. Les quatre premières traductions de livres de Marcel Schwob (The Book of Monelle, 2012 ; The King in the Golden Mask, 2017 ; Imaginary Lives, 2018 ; The Children’s Crusade, 2018) ont déjà fait l’objet d’une recension [1]. [B. F.]

 

[1] Spicilège – Cahiers Marcel Schwob, n° 5, 2012, p. 201 ; n° 10, 2017, p. 158 ; n° 13, 2020, p. 185.

 

Traduction en estonien de Vies imaginaires (2023)
et du Livre de Monelle (1994)

Le Livre de Monelle et Vies imaginaires traduits en estonien.

 

La première traduction de Vies imaginaires en estonien a été publiée en 2023, aux éditions Loomingu Raamatokogu, à Tallinn. Le livre est complété par la vie de Morphiel, des notes du traducteur et une préface qui dresse le portrait de l’auteur et de son œuvre. L’éditeur a également publié en 1994, une traduction du Livre de Monelle. [B. F.]

 

Marcel Schwob, Kujuteldavad elud [Vies imaginaires], traduction et notes de Malle Talvet, préface de Tiit Alekseev, Tallinn, Loomingu Raamatokogu, n° 14-15, 2023, 104 p. Disponible également en e-book.

 

 

Marcel Schwob, Monelle’I ramaat [Le Livre de Monelle], traduction et postface de Lore Listra, Tallinn, Loomingu Raamatokogu, n° 12-13, 1994, 62 p.

 

Traduction en anglais du conte « Les Sans-Gueule »
dans une anthologie de nouvelles françaises (2022)

The Penguin Book of French Short Stories. From Marguerite de Navarre to Marcel Proust (volume 1). From Colette to Marie Ndiaye (volume 2), edited by Patrick McGuinness, London, Penguin Classics, 2022.

 

Spécialiste de la littérature de la fin du XIXe siècle, auteur d’une Anthologie de la poésie symboliste et décadente (Les Belles Lettres, 2009), romancier et poète, Patrick McGuinness est connu des lecteurs de Marcel Schwob pour sa préface aux Œuvres de l’écrivain (Les Belles Lettres, 2002).

En 2022, il a publié une anthologie en anglais de nouvelles d’auteurs et d’autrices de langue française, depuis le Moyen Âge (Philippe de Laon) jusqu’à nos jours (Virginie Despentes) mais la période antérieure à 1800 est peu représentée. Marcel Schwob est l’un des quarante-trois novellistes présents dans le premier volume, aux côtés d’autres écrivains fin-de-siècle (Renard, Huysmans, Mirbeau, Richepin, Rodenbach, Lorrain, Rachilde, Fénéon, Laforgue, Léon Daudet). Patrick McGuinness a privilégié l’hétérogénéité en traduisant des classiques de la littérature française (« Claude Gueux » de Hugo, « Un cœur simple » de Flaubert, « La Vénus d’Ille » de Mérimée et « Le Horla » de Maupassant) et des œuvres bien moins célèbres (« Le Fantôme » de Jean-Pierre Camus, « Un rêve » de Xavier Forneret). En proposant un des contes de Cœur double, « Les Sans-Gueule » (« The Sans-Gueules [sic] », vol. 1, p. 434-438), Patrick McGuinness a peut-être souhaité piquer la curiosité du lecteur anglophone – celle du « chirurgien anglais [qui] fut surpris du cas, et y prit intérêt », écrit Schwob dans le récit.

Il est toujours difficile de présenter l’œuvre d’un auteur au travers d’un seul de ses textes. Dans le cas de Schwob, plusieurs choix étaient possibles : une nouvelle fantastique (« L’homme voilé »), un conte symboliste (« Le Roi au masque d’or ») ou une vie imaginaire (« Lucrèce »). Le parti pris de Patrick McGuinness est judicieux : « Les Sans-gueule » est un véritable défi herméneutique, un conte inclassable, mêlant tragédie et parodie, pathétique et humour noir, réalisme et grotesque. Très représentatif du récit bref schwobien, ce texte est un des chefs-d’œuvre de l’auteur. [B. F.]

 

Un article de Schwob sur Luscignole de Catulle Mendès
par Évanghélia Stead (2023)

Catulle Mendès, Œuvres, sous la direction de Jean-Pierre Saïdah, tome VIII, Luscignole, édition d’Évanghélia Stead, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du XIXe siècle », 2023, 193 p.

 

On connaissait peu ce roman poétique de Catulle Mendès, publié le 28 avril 1892, sinon, pour les lecteurs de Schwob, par la chronique que celui-ci lui consacra le 22 mai dans L’Écho de Paris, à la demande de l’auteur pour qui il y travaillait : « Luscignole ». Stimulé par la concurrence d’Anatole France, également sollicité, Schwob rédigea un article de haute tenue littéraire, complexe et savant, mettant en parallèle cette histoire de rossignol avec la Prokné des Oiseaux d’Aristophane.

Évanghélia Stead assure la réédition de Luscignole avec son souci de l’exactitude, l’enrichit de notes éclairantes, en assure la présentation érudite, montrant notamment que ce « roman délicat aux allures de conte de fées » réinterprète en réalité la violence du mythe ovidien de Philomèle, qu’elle connaît bien. Le texte de Mendès est suivi d’annexes dont la plus importante donne à lire quelques recensions de Luscignole dans la presse de l’époque, parmi lesquelles celle d’Anatole France et celle de Marcel Schwob.

 Évanghélia Stead souligne la perspicacité de ce dernier, seul à « percevoir l’intense mélancolie qui fait le fond du récit ». Et en effet, son article, quoique de commande, est une critique empathique jusqu’au pastiche pour ce « roman de l’innocence » (rare chez Mendès), pour cette histoire de petite fille (il a déjà publié lui-même quatre histoires de « petites filles » : « Le Sabot », « Fleur de cinq pierres », « Le Pays bleu » et « Bargette ») où la joliesse se marie avec la cruauté et l’horreur. Schwob put aussi reconnaître, dans la migration du chant du rossignol mourant dans le gosier de la petite Luscignole, celle de la voix de sa « Béatrice » (L’Écho de Paris, 14 septembre 1890) qui, sur le mode de l’épouvante, était passée, à la place de son âme, dans la gorge de son amant. Il résume ainsi l’épisode de Mendès : « Quand le pauvre rossignol mourut, son âme passa dans le sein de la petite, […] et elle eut en elle ses chants. » Plus loin, avant de faire fusionner in fine sa propre narration avec celle de Mendès en citant la dernière phrase du roman, il va jusqu’à y inclure un développement de son invention, variation sur son « Daphnis et Chloé » (L’Écho de Paris, 19 juillet 1891). Ces jeux de miroirs témoignent de la virtuosité créative du jeune journaliste/conteur, de la porosité des frontières entre les genres fictionnel et critique, ainsi que de tout un maillage de sensibilité et de culture qui relie des écrivains de l’époque. [A. L.]